Observations de soucoupes et entrée en ufologie
Observations de soucoupes et entrée en ufologie. L’impact d’observations insolites sur le parcours des soucoupistes français, de la fin des années 1940 aux années 1970
Mots-clés : Ufologie ; observations ; France ; XXe siècle
« Ce que j’observai était un cigare gris métallique ou peut-être un disque vu par la tranche, avec une bulle transparente sur le dessus. Il avait la taille apparente de la pleine Lune et planait silencieusement dans le ciel au-dessus de l’église de Saint-Maclou » . C’est en ces termes que le célèbre ufologue français Jacques Vallée évoqua son expérience d’observation d’une « soucoupe volante » – terme en usage dans les premiers temps de la recherche ufologique. Cette observation de 1955 le marqua profondément, lui faisant réaliser alors qu’il aurait « à tout jamais honte de la race humaine si nous ignorions purement et simplement “leur“ présence » .
Cette expérience relatée courageusement par Jacques Vallée n’est pas unique. Un nombre non négligeable de pionniers de l’ufologie française en ont vécu d’identiques . Elles constituent très souvent l’aiguillon qui motiva ou catalysa leur intérêt pour les investigations sur ces phénomènes intrigants. Bien sûr, une observation marquante n’est pas la seule raison qui conduisit ces individus à embrasser cette recherche. Il y en eut bien d’autres avec tout d’abord, en toile de fond, un intérêt prononcé pour l’espace et l’étrange . Puis survint le déclencheur : la lecture d’un article de presse, d’un livre ou d’une revue sur la question . D’une manière générale, les médias jouèrent un rôle prépondérant dans la naissance des vocations en diffusant des nouvelles qui impressionnèrent, mais il y eut aussi les rencontres (essentiellement avec des soucoupistes ou ufologues) , un environnement familial ou amical propice et bien sûr – ce qui nous intéresse ici – les observations directes.
Les ufologues concernés sont en général assez réticents à admettre avoir observé quelque chose d’inhabituel, craignant qu’un tel aveu ne nuise à leur réputation et à leur image. Pourtant cette situation fut assez fréquente, essentiellement chez les soucoupistes français de la première génération qui se lancèrent dans l’étude des soucoupes volantes – désignées aussi sous l’acronyme MOC (mystérieux objet céleste) – entre la fin des années 1940 et la fin des années 1960. On constate que ces observations directes provoquèrent un besoin de savoir très fort et jouèrent un rôle clé dans l’entrée en soucoupisme ou, plus tard, en ufologie. Ces événements eurent un tel impact sur les observateurs qu’ils purent parfois les faire changer radicalement de point de vue. C’est ainsi que de nombreux témoins qui affirmaient n’avoir jamais cru aux ovnis, avoir toujours pensé que ces phénomènes étaient des hallucinations ou des manifestations de la nature, avouèrent avoir complètement changé d’avis suite à une rencontre avec un ovni .
Avant Jacques Vallée, Raymond Veillith, l’un des premiers soucoupistes français, aurait commencé à s’intéresser à ce problème après avoir effectué, lui aussi, une observation. C’est en tout cas ce qu’affirment deux personnes qui l’ont bien connu, puisque l’une d’elles n’est autre que Joël Mesnard qui succéda à Raymond Veillith aux commandes de la revue Lumières dans la Nuit (LDLN) . Dans un article lui rendant hommage à la suite de son décès, ils affirment que ce pionnier « s’intéressait au problème depuis qu’il avait fait lui-même une observation » . Pour Raymond Veillith, il résulta de cet événement la fréquentation des premières organisations et la création de la revue LDLN, cette dernière influençant profondément toute l’ufologie hexagonale et même mondiale, puisque le groupement LDLN regroupa des milliers d’adhérents et de lecteurs dans le monde entier, et dynamisa pendant des décennies la recherche sur les ovnis .
D’après le sociologue Pierre Lagrange, un autre cadre de cette organisation, Michel Monnerie, aurait suivi le même cheminement . Cette version semble confirmée par une lettre de Michel Monnerie à Aimé Michel. Le premier y affirme au second qu’il a bel et bien été témoin d’une manifestation aérienne insolite en 1962, mais ne s’est engagé en ufologie que sept ans plus tard, après avoir consulté une photographie étrange . L’observation de Michel Monnerie eut donc une incidence profonde sur l’ufologie hexagonale toute entière puisque l’ufologue joua un rôle majeur à la direction de LDLN et, surtout, parce qu’il fut l’un des principaux acteurs de la controverse qui déchira ensuite la communauté des amateurs d’ovnis.
Au cours de la même décennie, Michel Figuet fut confronté lui aussi à une semblable expérience. Naviguant sur un navire de la marine militaire, puis à bord d’un sous-marin, il observa à la Martinique – en compagnie d’autres témoins – une grande sphère évoluant dans le ciel . C’était le 20 septembre 1965. Il avait alors 22 ans. À partir de cette date, il va investir temps et argent dans l’étude des ovnis, intégrant la commission d’enquêtes Drôme-Ardèche de l’Association des Amis de Marc Thirouin (AAMT) . Il donna également un très grand nombre de conférences en France et à l’étranger . Cette observation fut le déclencheur de sa vocation et le conduisit à rédiger deux livres dont un catalogue d’observations rapprochées d’ovnis en France qui fait encore référence aujourd’hui.
On pourrait multiplier les exemples comme ceux évoqués ci-dessus, même si malheureusement les renseignements dont on dispose pour les étayer proviennent parfois de sources secondaires . Ce sont pêle-mêle des soucoupistes et ufologues comme Henri Chaloupek, Charles Garreau, Jean Tyrode, Joël Mesnard, Raoul Robé qui observèrent des phénomènes de type OVNI . Même Aimé Michel , une figure majeure de l’ufologie hexagonale, aurait aperçu une soucoupe volante si l’on en croit Jacques Vallée . Outre les ufologues, de célèbres « contactés » – à l’image de Pierre Monnet – affirmèrent aussi avoir été marqués par ce type de rencontre et créèrent des structures d’études .
Au final, il apparaît que les ufologues ont souvent fait une observation initiale qui eut des conséquences déterminantes sur leur « carrière ». Cette situation semble plus répandue chez les soucoupistes de la première heure que chez les ufologues des générations suivantes. Ce premier contact avec la soucoupe contribua largement au dynamisme de l’ufologie puisque ces témoins particuliers intégrèrent par la suite des organisations, devinrent enquêteurs, directeurs de revue, inventèrent de nouvelles méthodes de recherche, fondèrent des groupements, écrivirent des livres, donnèrent des conférences et menèrent bien d’autres actions.
Manuel Wiroth
1 Jacques Vallée, Science interdite, Journal 1957-1969, Marseille : O.P. Éditions, 1997, p. 27.
2 Le champ lexical de l’OVNI contient une quantité de mots dont les définitions sont plus ou moins consensuelles. En tant que phénomène potentiellement extraterrestre ou alien, les ovnis furent d’abord désignés en France comme des « soucoupes volantes » ou, un peu plus tard, des « mystérieux objets célestes » (« MOC »). Il y eut aussi le sigle « ESPI » pour « engin spatial de provenance inconnue » qui ne connut pas un très grand succès. Plus tard, vers le milieu des années 1970, l’acronyme « OVNI » pour « objet volant non identifié » devint dominant. J’utilise le terme « ovni » pour désigner l’« objet » et « OVNI » pour le « phénomène ». Depuis la fin des années 1970, le terme « PAN » – pour « phénomène aérospatial non identifié » – tente de se faire une place, mais peine à détrôner « OVNI ». En parallèle, les pionniers de cette recherche s’auto-désignèrent d’abord comme des « soucoupistes », puis, plus tard, des « ufologues » en référence au terme anglais « UFO », c’est-à-dire « unidentified flying object ». Il existe quantité d’autres appellations concernant le phénomène et les hommes qui l’étudient, mais il serait trop long de les évoquer ici. Pour plus d’informations, se reporter à l’introduction de M. Wiroth, Ovnis sur la France, des années 1940 à nos jours. Apparitions et chercheurs privés, tome 1, Agnières : Le Temps Présent, 2017.
3 Jacques Vallée, Science interdite, op. cit., p. 27.
4 Manuel Wiroth, Ovnis sur la France, des années 1940 à nos jours, op. cit., p. 93-100.
5 Ibid., p. 84-93.
6 Ibid., p. 100-110.
7 Ibid., p. 110-114.
8 Interview de Jacques Vallée par Marc Menant, Europe 1, 20 mai 2001.
9 Georges Roncin, Joël Mesnard, « Raymond Veillith (1920-2009) », Lumières dans la Nuit, n° 396, nov. 2009, p. 4.
10 Ibid.
11 Manuel Wiroth, Ovnis sur la France, op. cit.
12 Pierre Lagrange, Une ethnographie de l’Ufologie. La question du partage entre science et croyance, thèse de doctorat en sociologie, EHESS/Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse, 2009, p. 210.
13 Michel Monnerie, courrier destiné à Aimé Michel, daté de 1977, archives nationales, site de Fontainebleau, 20000032, article 11.
14 Michel Figuet, document envoyé à Michel Monnerie, reçu le 11 septembre 1993, archives nationales, site de Fontainebleau, 20000032, article 12.
15 Michel Figuet, article paru dans UFO-Informations, bulletin n° 6 de l’Association des Amis de Marc Thirouin.
16 Michel Figuet, document envoyé à Michel Monnerie, reçu le 11 septembre 1993, archives nationales, site de Fontainebleau, 20000032, article 12.
17 Michel Figuet, Jean-Louis Ruchon, OVNI : le premier dossier complet des rencontres rapprochées en France, Nice : Alain Lefeuvre, 1979.
18 Manuel Wiroth, Ovnis sur la France, op. cit., p. 93-100.
19 Ibid. À noter que, dans le cas de Joël Mesnard, le phénomène fut rapidement identifié (un parhélie), mais n’en fit pas moins basculer le jeune témoin dans le monde de l’ufologie.
20 Aimé Michel a déjà été évoqué dans ce carnet de recherches ici.
21 Manuel Wiroth, Ovnis sur la France, op. cit., p. 99.
22 Pierre Monnet, entretien avec Lilyane Troadec, le 13 février 1979 à Sorgues, archives départementales des Bouches-du-Rhône, 110J25.